Avant que vous ne lisiez ce post je préfère vous prévenir : je décris ici les cérémonies funéraires auxquelles j’ai assisté aujourd’hui. Il y a des sacrifices d’animaux et les photos peuvent être dérangeantes pour certaines personnes.
Avant de raconter la journée parlons des Torajas :
Les Torajas sont 1800000 aujourd’hui. Ils vivent à Sulawesi Sud principalement mais aussi dans tout le reste de l’Indonésie pour trouver du travail. Ils étaient au départ athées puis animistes (religion maintenant appelée Aluk To Dolo). Depuis 100 ans seulement ils ont été christianisés puis pour une partie islamisés.
Ils ont longtemps vécu coupés du reste du monde et ont donc développé leur propre mode de vie, leur propre culture qu’ils savent préserver aujourd’hui.
Dixit Wikipedia : « Le mot Toraja vient du mot de la langue bugis « to ri aya », qui signifie « gens d’en-haut ». Le gouvernement colonial hollandais donna à ce peuple le nom de Toraja en 1909. Les Torajas sont renommés pour leurs rites funéraires élaborés, leur sites funéraires taillés dans les falaises rocheuses, leurs maisons traditionnelles massives aux toits en pointe connues sous le nom de tongkonan, et leurs sculptures sur bois colorés. »
Les maisons Torajas traditionnelles sont magnifiques et sont composées d’une maison principale, comprenant 3 chambres, et de greniers à riz ayant la même forme que la maison principale mais en plus petite et ne contenant qu’une pièce. Plus la famille est riche plus elle a de greniers à riz (quitte à ce qu’ils soient vides, c’est un signe de puissance et d’appartenance aux castes supérieures).
Leur forme imite le museau des buffles ainsi que celle de bateaux.
Elles sont décorées de peintures représentant des animaux, des buffles, des oiseaux et des insectes, ou des plantes.
Elles sont vraiment impressionnantes et magnifiques.
Sur le fronton il y a toujours un buffle (un faux en sculpture, ou un dessin de buffle) ainsi que la peinture de 2 coqs. Ces 2 coqs symbolisent le courage et l’intelligence animalière et aussi la paix entre les tribus Torajas. Cette tradition date de l’époque où les querelles étaient nombreuses et les gens s’entre-tuaient. Il a donc été décidé par un des chefs que les gens ne se battraient plus entre eux mais feraient se battre deux coqs à leurs places : la victoire irait à l’équipe du coq gagnant. Les combats de coqs sont aujourd’hui interdits mais toujours pratiqués par les animistes pendant les funérailles car c’est une étape symbolique pour eux. (Les chrétiens par contre n’aiment pas les combats de coqs apparement)
Sur la façade il y a aussi les cornes des buffles qui ont été sacrifiés lors des enterrements. Ces cornes sont très précieuses et ne peuvent être achetées. Elles sont offertes au défunt comme on le verra plus tard et sont un signe de respect et de remerciement.
Il y a également parfois des mâchoires de cochons. Celles-ci sont gardées après l’inauguration de la maison. Encore une fois elles symbolisent la richesse de la famille qui a pu acheter autant de cochons pour la fête.
Les maisons traditionnelles ne sont pas confortables alors ils ont maintenant un autre type de maison « à l’américaine » comme dit le guide. Il y a aussi des maisons de style bugis (autre peuple vivant plus au Sud et à l’Ouest de l’île) bien qu’il n’y ai pas de bugis qui vivent ici. Ils ont juste copié leurs maisons qui sont très belles, montées sur pilotis.
Les Torajas ont à cœur de conserver la forme traditionnelle de leur maison alors parfois ils combinent les deux :
Ils construisent aussi souvent un grenier à riz traditionnel dans la cour d’une maison moderne.
Passons maintenant au récit de la journée d’aujourd’hui :
Je me lève tôt ce matin, et je commence par chercher de l’eau et un endroit pour manger un petit déjeuner. Autour de mon hôtel il n’y a que des petits warungs servants tous la même chose alors je me rabat sur un mie goreng (les nouilles sautées), je n’ai pas très faim et ce n’est pas très bon alors je laisse une bonne partie de mon assiette.
A 9 h comme prévu je retrouve mon guide Anis et nous partons pour la première cérémonie. Chez les Torajas la cérémonie des funérailles est la plus importante. Plus importante que le mariage m’a dit le guide. La cérémonie dure plusieurs jours entre 4 et 7 jours, et a plusieurs étapes.
Le mort n’est pas enterré tout de suite après sa mort, pour laisser le temps à la famille d’organiser l’événement et à la famille qui habite loin d’organiser son voyage. Le mort sera donc enterré entre 5 mois et plusieurs années après son décès. Pendant tout ce temps il sera conservé dans sa maison dans du formol. Tant qu’il n’est pas enterré on ne dit pas qu’il est mort. On dit qu’il dort. La famille continue à lui préparer chaque repas et lorsqu’il est prêt à aller le « réveiller » en disant des phrases du genre : « papa il faut te lever le repas est prêt ».
Pour les Torajas si une personne meurt quand elle est âgée et de sa belle mort comme on dit chez nous, ce n’est pas trop triste (bien sûr ils sont un peu triste quand même) mais normal et ça permet aux personnes d’accéder à temps au paradis. Par contre si une personne jeune meurt ou un enfant, là ce n’est pas pareil. Les gens sont alors très tristes.
Les Torajas sont majoritairement chrétiens, il y a 20% de musulmans et des animistes. Les rites funéraires auxquelles j’ai assisté ne concernent bien sûr pas les musulmans.
Pour la fête ils construisent un village spécial sur le terrain de la maison du défunt pour accueillir les invités. Il y a plein de maisons numérotées dans lesquelles les gens sont accueillis la journée et dans lesquelles dorment les membres de la famille proche la nuit. Le village sera démoli à la fin de la semaine.
Il y a aussi bien sûr plusieurs éléments destinés au mort : son cercueil, une charrette humaine dans laquelle il sera placé pour la procession et une maison dans laquelle il sera placé après la procession et pour le reste des jours jusqu’à l’enterrement (ou plutôt la mise en caveau, qui n’est pas enterré mais creusé dans la roche).
Le premier jour est un jour plutôt privé où le mort est accueilli dans son cercueil et placé dans le soubassement d’un des greniers à riz.
Le lendemain a lieu la procession.
Le jour d’après l’accueil des invités.
Ensuite viennent les grands sacrifices animaliers.
Et après l’enterrement à proprement parlé.
Le matin j’ai d’abord assisté au troisième jour de la cérémonie pour un professeur directeur mort il y a 5 mois. Tous les invités doivent amener des cadeaux. J’ai amené une cartouche de cigarettes, achetée par mon guide.
Quand on arrive un membre de la famille nous reçoit dans une des petites pièces, nous parle et nous offre à boire et à manger.
Pour la cérémonie de réception des invités, chaque famille ou groupe invité défile dans la cour du village et est reçu pendant un moment par la famille.
Pendant le défilé certains chantent.
Ils sont toujours accompagnés (et précédés) par les petits enfants du défunt habillés en costumes traditionnels. Le costume est très beau.
les petites filles entrain d’attendre et de jouer
Ouverture de la cérémonie en musique (elles jouent de la musique avec la cuve utilisée pour préparer le riz)
Ils ouvrent le défilé en dansant et en riant
Ensuite il y a des danseurs / chanteurs qui font parti du village qui font des danses en récitant un poème de condoléance en langue toraja.
Il est coutume d’offrir des buffles ou des cochons lors des funérailles.
L’âme des animaux tués est censée accompagner l’âme du défunt au paradis et lui tenir compagnie. Pour les chrétiens c’est aussi souvent un cadeau fait par les enfants à leurs parents décédés en symbole de tout ce qu’ils ont fait pour eux au cours de leur vie. Plus il y a de buffles mieux c’est.
Il n’est pas rare qu’il y en ait 15, 30 voir plus si la famille est grande et riche. Les buffles sont très chers, plus de 100 millions de roupies. (un repas classique ici ça coûte 8000 roupies max aux locaux pour avoir une idée de l’échelle).
Les buffles ne sont tués que pendant les cérémonies funéraires (ou les mariages). Ils ne sont élevés que pour ça. Si le buffle est albinos avec une tache noir sur le dos c’est encore mieux, il vaut alors jusqu’à 800 millions de roupies ! Une fortune.
Lorsque tous les invités sont là ils font alors la liste des animaux et de qui les a amenés.
Le gouvernement prend une taxe sur chaque animal sacrifié : 200000 roupies pour un cochon, payés directement par les invités. La taxe sur les buffles est quant à elle payée par le famille, et est beaucoup plus chère.
Les sacrifices ont lieux tous les jours afin de nourrir les invités mais le plus grand nombre de sacrifices à lieux le 4iem jour. Rien n’est jeté ni perdu.
Les cochons sont amenés saucissonnés et vivants et posés par terre, prisonniers jusqu’à leur mort. Leurs cris sont assez terribles. Surtout multiplié par 100, 200 voir 300.
Après la cérémonie de réception des invités, nous sommes partis rejoindre une deuxième cérémonie, cette fois celle d’un homme important de la région qui est mort à 95 ans. Sa maison est très grande et la cérémonie aussi.
Aujourd’hui c’est le jour de la procession. C’est le jour le plus spectaculaire je pense pour les touristes comme moi qui venons assister. Quand on arrive on est encore une fois accueilli, avec échange de cadeaux, gâteaux et boissons. Après 12h15, quand le soleil est descendant la cérémonie de procession peut commencer.
En attendant le début de la cérémonie, on patiente en fumant, en discutant
et en recevant les condoléances
Un petit garçon joue avec un sac plastique, indifférent à la fête
Il y a des danseurs qui dansent et chantent. Ils rient beaucoup et très fort. J’ai demandé au guide pourquoi il m’a dit que c’est pour entraîner les gens de la foule à la fête.
les femmes et leur sac traditionnel, contenant les cigarettes
Le cercueil est ensuite placé dans la charrette humaine. Ca prend un certain temps.
Le cercueil dans le grenier à riz
Les hommes portent le cercueil
puis attachent les bambous
Après les hommes portent la charrette et les femmes se placent devant sous un grand tissu rouge symbolisant le courage. Devant il y a aussi un « collier » en bambou qui sera placé sur la maison du mort en attendant son enterrement. Et encore devant il y a des buffles (tenus en laisse encore heureux car ils sont mégas impressionnants !!). Pour le défilé les cornes des buffles sont décorées spécialement.
On a ensuite une procession, qui ne défile pas bien loin les gens n’aiment pas marcher ici ! Le cercueil est secoué dans tous les sens, les hommes courent avec, reculent, sautent… et les femmes tentent de ne pas se faire écraser (J’ai été avec elles tu ne fais pas la fière quand ils t’arrivent dessus à toute vitesse !).Le cercueil est ensuite ramené à son point de départ et là à lieux une énorme bataille d’eau. Les gens finissent trempés et mort de rire (moi avec bien sur, ils sont contents de pouvoir arroser une bule 🙂 )
Le mort est ensuite placé dans sa maison temporaire.
Le toit de la charrette, en forme de nez de buffle lui aussi, est gardé et sera placé au dessus de son tombeau à la fin de la semaine.
Une fois le mort placé il y a eu des danses, des processions d’invités comme ce matin et des sacrifices. J’ai assisté au sacrifice d’un des buffles. Ils sont égorgés ce qui est très rapide. Par contre une fois à terre il a mis un moment avant de vraiment mourir.
Après il est dépecé (mais ça je n’ai pas voulu y assister) et découpé. Les meilleurs morceaux sont offerts à des gens des plus hautes castes, à la famille, au maître de cérémonie… Et les autres sont vendus aux enchères. Les gens achètent la viande et la ramène chez eux au bout d’un bout de ficelle ou d’un bout de bambou.
L’odeur est assez forte car l’ensemble prend un long moment et le soleil tape fort.
Les cochons quant à eux sont éventrés, éviscérés et leur ventre est brûlé.
Ils sont ensuite découpés, assaisonnés avec du sel, de l’oignon et de la menthe (beaucoup de menthe !) et cuits à l’intérieur de bambous, à l’étouffé.
Ils nous ont servis le porc après à manger à 15h mais je n’avais pas très faim. La chaleur était grande et le porc un peu rosé. Vu les conditions d’hygiène j’ai juste goûté un tout petit bout : c’est très bon.
La journée se termine par des combats de buffles (les combats de coqs c’est interdit à cause des bagarres pas pour la cause animale…). Les combats de buffles sont autorisés car les paris réalisés dessus sont avec des sommes plus élevées (la logique je ne l’ai pas très bien comprise …) Je me suis dit que j’allais rester pour voir. Ca ne m’a pas du tout plu. Je me suis préparé à de la violence mais pas du tout. Les spectateurs étaient pour la plupart bien éméchés et vu les remarques qu’ils me faisaient j’étais contente d’être accompagnée par un guide. Les buffles quant à eux n’avaient pas du tout envie de se battre et se passaient à côté en s’évitant poliment.
Ce qui m’a vraiment déplu s’était l’obsession des hommes à vouloir que ces bêtes se tapent dessus. Ils les poussaient l’un contre l’autre, criaient, les repoussaient dans l’autres sens… Tant d’énergie dépensée pour créer une bagarre inexistante et inutile c’était vraiment dérangeant et je suis partie en plein milieu du « combat ».
Cette journée à été riche en émotions et en découvertes. J’ai beaucoup aimé m’immerger dans la façon de penser si différente des gens d’ici même si c’était aussi éprouvant.
Je suis heureuse d’avoir pris un guide malgré le prix : les cérémonies étaient difficiles d’accès et les codes sont très différents de nos codes. Je pense que je n’aurai pas compris grand chose sans guide. Et plusieurs fois je n’osais pas aller à un endroit ou prendre des photos et mon guide m’a dit que je pouvais le faire sans problème. Au contraire il y a de petites choses comme par exemple le fait qu’il ne faille pas rester devant l’entrée d’un grenier à riz qui ne me seraient pas nécessairement venues à l’esprit.