Ile de Pâques

 

L’aéroport international Mataveri (code AITA : IPC • code OACI : SCIP) est situé à Hanga Roa sur l’île de Pâques. Il est l’un des aéroports les plus retirés au monde, soit à 3 759 kilomètres de Santiago et à 2 603 kilomètres de Mangareva aux Îles Gambier. En 2006, il a accueilli quelque 10 511 passagers1. La seule compagnie aérienne qui l’utilise LAN Airlines, le rejoint depuis Santiago et Papeete (Tahiti).

 

– Superficie : 162 km².
– Statut : territoire du Chili.
– Habitants : 5 167 habitants (estimation 2012), dont près de la moitié sont des Chiliens du continent, venus profiter des bienfaits de l’économie touristique dynamique. Quelques dizaines d’étrangers vivent par ailleurs sur l’île, des Français mariés à des Pascuanes pour la plupart.
– Chef-lieu : Hanga Roa.
– Langues : espagnol (langue officielle), pascuan (dialecte polynésien), français.
– Monnaie : peso chilien.
– Ethnies : Pascuans, Français, Polynésiens.

 

  • National géographic:

« Les statues marchaient », affirment les habitants de l’île de Pâques. Des archéologues tentent de savoir comment. Et si l’histoire de ces colosses est le récit précurseur d’un désastre écologique ou un modèle d’ingéniosité humaine.

Par une nuit d’hiver, en juin dernier, José Antonio Tuki, un artiste trentenaire de l’île de Pâques, quitta sa maisonnette de la côte sud-ouest pour rejoindre à pied la plage d’Anakena, au nord.

C’est ici, selon la légende, que les premiers migrants polynésiens remontèrent leurs canoës après avoir parcouru plus de 2 000 km en plein Pacifique, il y a environ mille ans.

Tuki s’assit sur le sable pour regarder les moai se dressant droit devant lui. Sculptées dans le tuf volcanique voilà des siècles, ces colossales statues anthropomorphes sont censées incarner les esprits déifiés des ancêtres.

D’origine polynésienne, Tuki est un Rapanui, un habitant de rapa nui – le nom local de l’île de Pâques. Ses ancêtres ont sans doute sculpté quelques-unes des centaines de statues qui parsèment les collines herbeuses et les côtes déchiquetées de l’île. À Anakena, sept moai au ventre rond se tiennent au garde-à-vous, sur une plateforme en pierre de 16 m.

Ils tournent le dos au Pacifique, les bras le long du corps, le crâne couvert d’un haut pukao de scorie rouge – une autre roche volcanique. Lorsque Tuki les dévisage, il sent une connexion s’établir. « C’est étrange et puissant, explique-t-il. C’est le produit de ma culture. C’est rapanui. » Il secoue la tête. « Mais comment ont-ils fait ? »

L’île de Pâques couvre 163 km2. Elle se situe à 3 460 km à l’ouest de l’Amérique du sud et à 2 091 km à l’est de Pitcairn, sa plus proche voisine habitée. Après sa découverte, l’isolement de l’île perdura pendant des siècles.

Tout le labeur et les outils utilisés pour sculpter les moai – dont la taille varie de 1 à 10 m et dont le poids peut atteindre plus de 80 t – ont été fournis par les habitants locaux. Cependant, en 1722, quand des explorateurs hollandais débarquèrent le jour de Pâques, l’île en était encore à l’âge de pierre.

Les moai proviennent, pour la plupart, de la même carrière. ils étaient taillés avec des outils en pierre, puis transportés jusqu’à de grandes plateformes empierrées, ou ahu, parfois distantes de 18 km, sans que les insulaires aient recours à des animaux de trait ou à des roues. La question de Tuki – comment ont-ils fait ? – interloque les visiteurs depuis plus de cinquante ans.

Mais, depuis peu, les moai sont au cœur d’un débat plus large, qui oppose deux conceptions très différentes du passé de l’île de Pâques.

La première est défendue avec ardeur par le géographe Jared Diamond, Prix Pulitzer et explorateur en résidence du National Geographic.

© Randy Olson

Selon lui, l’île est une parabole édifiante, l’exemple extrême d’une société qui s’autodétruit délibérément en ruinant son environnement. Pour les tenants de l’autre thèse, les anciens Rapanuis sont un symbole stimulant de résistance et d’ingéniosité – dont l’un des hauts faits fut leur capacité à faire « marcher » des statues géantes sur des kilomètres de terrain accidenté.

Après des semaines en mer, sur leurs canoës ouverts, des Polynésiens découvrirent rapa nui. Ils n’étaient sans doute que quelques douzaines. Aujourd’hui, douze vols hebdomadaires relient l’île de Pâques au chili, au Pérou et à Tahiti.

En 2011, ces avions ont débarqué 50 000 touristes, dix fois la population insulaire. Il y a trente ans, il n’y avait que de rares automobiles, et les réseaux d’électricité et de communication étaient peu nombreux.

Désormais, à Hanga Roa, la seule ville de l’île, les cybercafés, les bars et les boîtes de nuit sont légion. Le samedi soir, on assiste même à des embouteillages de voitures et de camionnettes. « Ce n’est plus une île isolée », affirme Kara Pate, sculptrice rapanuie de 40 ans.

Le chili a annexé l’île de Pâques en 1888 mais, jusqu’en 1953, il a autorisé une société écossaise à la gérer à la manière d’un ranch géant. Tandis que les moutons broutaient librement, les Rapanuis étaient cantonnés à Hanga Roa.

En 1964, ils se révoltèrent, obtenant plus tard la citoyenneté chilienne et le droit d’élire leur maire. Aujourd’hui, les Rapanuis développent une forte ambivalence envers El Conti (le continent).

Ils dépendent du chili pour le carburant et le ravitaillement aérien quotidien. Ils parlent l’espagnol et doivent se rendre en Amérique du sud pour suivre des études supérieures. En parallèle, des migrants chiliens, attirés notamment par l’exonération d’impôt sur le revenu, sont heureux d’accepter les travaux que les locaux méprisent.

« Un Rapanui dira : “Quoi, vous croyez que je vais laver la vaisselle ?” », explique Beno Atán, un guide touristique de 27 ans natif de l’île. Du fait de nombreux mariages avec des continentaux, certains Rapanuis redoutent toutefois une dilution de leur culture.

Environ 5 000 personnes vivent actuellement sur l’île – presque deux fois plus qu’il y a vingt ans – et moins de la moitié sont rapanuis.

La quasi-totalité des emplois dépend du tourisme. « Sans lui, tout le monde crèverait de faim », ne craint pas d’affirmer Mahina lucero teao, la directrice de la chambre du tourisme. Ce que confirme le maire, Luz Zasso Paoa : « notre patrimoine est la base de notre économie. » et le patrimoine, ce sont les moai.

L’ethnographe et aventurier norvégien Thor Heyerdahl croyait que les statues géantes étaient l’œuvre de pré-incas du Pérou, et non pas de Polynésiens. Le suisse Erich von Däniken, auteur de Présence des extraterrestres, était convaincu qu’elles avaient été érigées par des aliens restés bloqués sur terre.

Des preuves linguistiques, archéologiques et génétiques ont confirmé l’origine polynésienne des bâtisseurs de moai. Mais la science n’explique pas comment ils ont déplacé leurs créations. Les chercheurs ont communément supposé que les statues étaient tirées.

« Les experts peuvent dire ce qu’ils veulent, soupire Suri Tuki, 25 ans, le demi-frère de José Tuki. Mais, nous, nous savons la vérité. Les statues marchaient. »

Dans la tradition orale rapanuie, les moai étaient mus par le mana, une force spirituelle transmise par les ancêtres.

Aucun document ne mentionne la création de moai après l’arrivée des européens, au XVIIIe siècle. À cette époque, il n’y avait qu’une poignée d’arbres chétifs sur l’île de Pâques.

Pourtant, dans les années 1970 et 1980, le biogéographe néo-zélandais John Flenley a apporté la preuve – des pollens préservés dans des sédiments lacustres – que des forêts luxuriantes, avec d’innombrables palmiers géants, avaient recouvert l’île pendant des milliers d’années.

Ces forêts n’auraient fait place à des prairies qu’après l’arrivée des Polynésiens, vers l’an 800 de notre ère.

Jared Diamond s’est largement inspiré du travail de Flenley pour écrire Effondrement. Dans ce livre (publié en France en 2006), il affirme que les habitants de l’île de Pâques ont commis un écocide involontaire.

Selon Diamond, ils eurent la malchance de s’établir sur une terre extrême- ment fragile – aride, froide et reculée, donc pauvrement fertilisée par les poussières ou les cendres volcaniques charriées par les vents. (Les propres volcans de l’île sont éteints.)

Les forêts défrichées pour le bois de chauffage et l’agriculture ne repoussèrent jamais. le bois devenant rare, les insulaires cessèrent de construire des canoës pour la pêche en mer et se mirent à manger des oiseaux.

L’érosion des sols réduisit les rendements des récoltes. Avant l’arrivée des européens, les Rapanuis étaient en proie à la guerre civile et pratiquaient le cannibalisme. L’effondrement de cette civilisation isolée, écrit Diamond, est « l’exemple le plus frappant d’une société qui s’autodétruit par la surexploitation de ses propres ressources ».

Les moai auraient, selon lui, accéléré le processus d’autodestruction. Diamond pense qu’ils servaient à afficher le pouvoir de chefs rivaux, qui se valorisaient en construisant des statues de plus en plus imposantes.

Il avance aussi que les moai étaient couchés sur des traîneaux en bois, tirés sur des rails de rondins. Cette technique, testée avec succès par Jo Anne Van Tilburg, archéologue à l’université de Californie à Los Angeles, était gourmande en bois et en main-d’œuvre. Pour nourrir les gens, il fallait défricher de nouvelles terres.

Quand le bois eut disparu et que la guerre civile débuta, les insulaires renversèrent les moai. Au XIXe siècle, il n’en restait plus un seul debout. Le paysage de l’île de Pâques acquit alors cette dimension tragique qu’il conserve aujourd’hui aux yeux de beaucoup.

Trois volcans, désormais endormis, ont formé l’île de Pâques il y a 500 000 ans. L’île abrite trois lacs de cratère, mais aucun cours d’eau ; l’eau douce est rare. Le Chili, qui approvisionne l’île en carburant et en nourriture, se trouve à 3 460 km. © Randy Olson

Leur théorie évoque des bâtisseurs de moai pacifiques et ingénieux, et des gestionnaires prudents de la terre. Hunt et Lipo admettent que l’île de Pâques a connu une « catastrophe écologique », mais pas que les insulaires en sont la cause.

Cette nouvelle version controversée est le fruit de leurs propres découvertes sur la plage d’Anakena et est étayée par les travaux d’autres scientifiques. Les fouilles menées par les deux archéologues les ont convaincus que les Polynésiens n’ont pas atteint l’île avant 1 200, soit quatre siècles après la date communément admise.

Ce qui laisserait aux habitants à peine 500 ans pour dénuder le paysage. La culture sur brûlis n’y aurait pas suffi, estiment Hunt et lipo. Un autre tueur d’arbres était à l’œuvre. Les deux hommes ont exhumé des noix de palmiers disparus de l’île de Pâques. Sur les coquilles, ils ont fréquemment observé de fines striures dues aux dents aiguisées de rats polynésiens.

les rongeurs sont arrivés dans les mêmes canoës que les pionniers. Les insulaires s’en nourrissaient, mais les rats n’avaient pas d’autres prédateurs. Hunt et Lipo estiment qu’ils ont pu infester l’île en quelques années.

Les noix de palmiers constituant l’essentiel de leur nourriture, les rats purent empêcher le réensemencement des arbres à croissance lente, condamnant ainsi la forêt. Nul doute que les rats consommèrent aussi des œufs d’oiseaux.

Bien entendu, les pionniers sont responsables de l’arrivée des rats : Hunt et Lipo les soupçonnent même de l’avoir organisée. (Les Polynésiens apportèrent également des poulets.) Mais les rats polynésiens, à l’instar des espèces envahissantes actuelles, ont fait plus de mal à l’écosystème qu’aux humains.

Rien n’indique que la civilisation rapanuie se soit effondrée avec la disparition de la forêt. Les deux archéologues se fondent sur leurs fouilles pour supputer que la population insulaire a cru rapidement après la découverte de l’île ; elle était de 3 000 personnes environ et resta plus ou moins stable jusqu’à l’arrivée des européens.

Des champs dégagés avaient plus de valeur pour les Rapanuis que les forêts de palmiers. Mais ces sols étaient infertiles, battus par les vents et arrosés par des pluies irrégulières. Pour travailler leurs terres comme pour déplacer leurs statues, les insulaires transportèrent des quantités monumentales de pierres dans des champs (et non pas en dehors).

C’est ainsi qu’ils construisirent des milliers de brise-vent circulaires, les Manavai, à l’intérieur desquels ils jardinaient. Ils couvrirent des champs entiers d’éclats de roches volcaniques pour conserver l’humidité des sols et les fertiliser avec des nutriments essentiels que leurs volcans ne fournissaient plus.

En bref, comme le soutiennent Hunt, Lipo et d’autres, les Rapanuis se comportèrent en pionniers de l’agriculture durable, et non en exécuteurs irréfléchis d’un écocide.

Sur l’île de Pâques, ou Rapa Nui, les statues — les moai — font davantage partie du spectacle quotidien que les danseurs au corps peint. Environ 2 000 Rapanuis vivent aujourd’hui sur l’île chilienne. En 1877, décimés par les marchands d’esclaves et les maladies, ils étaient 111. © Randy Olson

« Plus qu’un cas d’échec abject, Rapa Nui est l’histoire d’un improbable succès », écrivent les deux chercheurs dans un livre paru en 2011 aux États-Unis et intitulé The Statues That Walked. Hunt et Lipo ne croient pas aux récits oraux de conflits violents entre insulaires : là où d’autres archéologues voient des armes dans les lames tranchantes en obsidienne, ils voient des outils agricoles.

Les Moai permirent de maintenir la paix, disent-ils, non seulement en avertissant de la force de leurs bâtisseurs, mais aussi en limitant la croissance démographique : les gens élevaient des statues plutôt que des enfants.

En outre, le déplacement des moai exigeait peu de main- d’œuvre et presque pas de bois puisque les statues « marchaient ». Sur ce point, Hunt et Lipo estiment que les preuves concordent avec la légende.

Sergio Rapu, archéologue rapanui de 63 ans, a accompagné Hunt et Lipo jusqu’au Rano Raraku, le volcan situé au sud-est de l’île. Devant de nombreux moai abandonnés à différents stades d’achèvement dans une ancienne carrière, il leur a expliqué comment les statues étaient conçues pour marcher : leurs gros ventres les entraînaient en avant, tandis que leur base en forme de « d » permettait aux manutentionnaires de les faire rouler à la manière d’un culbuto.

En 2010, lors d’une expérience financée par l’Expeditions Council du National Geographic, Hunt et Lipo ont montré que dix-huit personnes, équipées de trois cordes solides, pouvaient manœuvrer une réplique de moai de 3 m et 5 t sur quelques centaines de mètres.

Le déplacement de moai beaucoup plus gros sur des kilomètres devait être une entreprise ardue, comme l’attestent les dizaines de statues abandonnées au bord des pistes à la sortie de la carrière. Mais celles qui ont atteint intactes leur plateforme sont bien plus nombreuses.

Personne ne sait avec certitude quand fut sculptée la dernière statue. La datation des moai n’est pas fiable. Selon Hunt et Lipo, en 1722, à l’arrivée des Hollandais, les statues recouvraient l’île et la civilisation rapanuie était pacifique et prospère.

Mais les européens introduisirent des maladies contre lesquelles les insulaires n’étaient pas immunisés, en même temps que de nouveaux insignes de statut social qui remplacèrent les moai. Au XIXe siècle, les marchands d’esclaves décimèrent la population ; en 1877, elle se réduisait à 111 personnes.

Pour Hunt et Lipo, l’histoire de l’île de Pâques est une allégorie de génocide et de « culturecide», pas d’écocide. Leur ami Sergio Rapu adhère en partie à cette analyse. «Ne me dites pas que ces outils en obsidienne ne servaient qu’à l’agriculture, s’amuse-t-il. J’aimerais croire que mes ancêtres ne se sont jamais mangés entre eux. Mais je crains que ce soit le cas. »

Exploiter leur héritage culturel sans le détruire est le nouveau défi des insulaires. L’augmentation de la population et la présence de milliers de touristes épuisent des ressources en eau déjà réduites.

Rapa Nui est sortie de l’isolement. Séduisante mais difficile, l’île sait retenir ses habitants. José Tuki (à gauche avec son amie Joyce) est parti vivre au Chili, mais n’a tenu que quatre ans. « Si vous vous éloignez de l’île, elle vous rappellera à elle », explique-t-il. © Randy Olson

L’île n’a pas de système d’égout et pas d’endroit où stocker un volume de plus en plus important de déchets ; entre 2009 et le premier semestre de 2011, il a fallu en expédier 230 t vers le continent.

« Alors, que fait-on ?, demande le maire, Zasso Paoa. On limite l’immigration ? On limite le tourisme ? Voilà où nous en sommes.» Récemment, l’île a demandé aux visiteurs de remporter leurs déchets dans leurs valises.

Autre problème : si les touristes ont interdiction de toucher aux moai, les chevaux se frottent joyeusement contre eux, en emportant le tuf poreux. Ils piétinent aussi les sols naguère foulés par les moutons et se soulagent sur les plateformes autrefois sacrées.

Mais la convoitise immobilière des insulaires pourrait s’avérer le plus grand danger pour leur héritage exceptionnel – plus de 20 000 sites et objets archéologiques répertoriés. Plus de 40 % de l’île forme un parc national protégé, ce qui limite les terres disponibles. « Les gens doivent comprendre que l’archéologie n’est pas leur ennemie », insiste Rapu.

Aujourd’hui, un bosquet de cocotiers importés de Tahiti domine la plage d’Anakena, offrant aux baigneurs et aux mariés chiliens l’impression rassurante d’être en Polynésie. Pourtant, le vent hurlant et les collines herbeuses évoquent davantage les Highlands d’Écosse.

Les moai, dorénavant aveugles, ne confient à personne le mystère de leur arrivée en ce lieu et la véritable histoire de l’île de Pâques. Cette ambiguïté convient à José Tuki. « Je veux connaître la vérité, admet-il, mais l’île ne peut peut-être pas livrer toutes les réponses. Et, si nous les entendions, elle perdrait sans doute de sa magie. »

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